Feuilles

La première feuille qui m’est venue à l’esprit, c’est la feuille blanche, celle que l’on classe toute fraîche, avec sa bonne odeur de papier neuf à la rentrée dans de beaux classeurs. Cette feuille sympathique qui se couvrait avec indulgence de notre écriture brouillonne ou de nos gribouillages. Cachée en embuscade derrière cette première feuille se cache sournoise la même feuille blanche prête à la torture, la terreur des cancres et des discoureurs de tout poil, celle que l’on froisse rageusement par vengeance et dépit et qui nous nargue du fond de son néant virginal.

 

 

Du papier à l’arbre il n’y a qu’un petit pas cellulosé et un peu de chimie. De l’arbre à la feuille quelques branches et un peu de sève. La feuille est le symbole par excellence de l’automne. La belle prend alors de magnifiques teintes et flamboie une dernière fois pour le plaisir de nos yeux avant de s’envoler sous la bourrasque pour finir détrempée sur le sol hivernal. Mais sa mort n’est qu’une étape, les éléments chimiques accumulés intentionnellement par l’arbre dans la structure de ses feuilles vont lentement se dissoudre dans la terre. Le printemps venu ils iront nourrir leur géniteur et produire de belles feuilles vertes de bonheur.

 

 

Métaphoriquement nous pourrions nous identifier à ces feuilles. Vierge à notre naissance nous la remplissons peu à peu du brouillon de notre vie et à l’automne de notre existence pour les plus chanceux, nous prenons aussi de belles couleurs. Les couleurs du bonheur et de la sagesse, de l’apaisement et de la maturité, de la satisfaction d’avoir accompli de grandes choses pour les ambitieux, de petites pour les humbles. Notre mort enrichira-t-elle le terreau humain et fera-t-elle fleurir de nouvelles feuilles sur l’arbre de l’humanité ? Que dispersons nous de nous dans le monde pour en enrichir le devenir ?

 

 

Chaque existence peut aussi se concevoir comme les feuilles d’un grand livre qui raconte une vaste histoire. Personne ne peut la lire entièrement, nous n’en voyons que des bribes et sommes aveugle à notre propre rôle, à notre propre apport. Nos existences, aussi insignifiantes et vaines soient-elles, tissent une vasque fresque. Par moments dans notre histoire (unique ou universelle) nous avons la chance d’entrevoir une partie du voile, dans d’autres les ténèbres nous entourent et telle une Pénélope nous défaisons dans cette nuit la toile tissée avec patience au fil de nos jours.

 

 

Les grincheux, les sceptiques, les pessimistes et les intégristes du matérialisme vont me rétorquer que tout cela n’est qu’une élucubration de mon esprit, une simple mystique destinée à me faire supporter une existence vide de sens et qui a bien y réfléchir n’a d’autre but que la survie d’une espèce capable de s’autodétruire avec bonheur et inventivité. Les croyants vont me condamner à l’anathème car j’oublie dieu et son vaste dessein.

 

 

Je vais renvoyer les premiers à leurs feuilles d’impôts qui arrivent en général au retour de vacances et qui leurs donneront un prétexte de plus pour maugréer, je leurs conseille aussi de se fournir en feuilles de plomb très utiles pour se protéger des radiations qui vont sans doute encore prospérer longtemps dans notre beau pays. Les autres pourront se plonger dans les feuilles de leurs missels ou tout autre mode d’emploi religieux, feuille de route des conscience et du comportement pré mâché.

 

 

Après ces envolées lyriques et philosophiques revenons sur terre avec les feuilles de salades et de choux, les premières huilées à souhait, les secondes bien farcies, passons rapidement sur les feuilles de vignes indispensables cache-sexes des toiles de maîtres et excellent plat grec. Et bien sûr finissons avec l’excellent mille-feuilles, plaisir des gourmand(e)s.

 

 

Et juste pour le plaisir cette petite poésie

 

 

 

A l’enterrement d’une feuille morte

Deux escargots s’en vont

Ils ont la coquille noire

Du crêpe autour des cornes

Ils s’en vont dans le soir

Un très beau soir d’automne

Hélas quand ils arrivent

C’est déjà le printemps

Les feuilles qui étaient mortes

Sont toutes réssucitées

Et les deux escargots

Sont très désappointés

Mais voila le soleil

Le soleil qui leur dit

Prenez prenez la peine

La peine de vous asseoir

Prenez un verre de bière

Si le coeur vous en dit

Prenez si ça vous plaît

L’autocar pour Paris

Il partira ce soir

Vous verrez du pays

Mais ne prenez pas le deuil

C’est moi qui vous le dit

Ça noircit le blanc de l’oeil

Et puis ça enlaidit

Les histoires de cercueils

C’est triste et pas joli

Reprenez vous couleurs

Les couleurs de la vie

Alors toutes les bêtes

Les arbres et les plantes

Se mettent a chanter

A chanter a tue-tête

La vrai chanson vivante

La chanson de l’été

Et tout le monde de boire

Tout le monde de trinquer

C’est un très joli soir

Un joli soir d’été

Et les deux escargots

S’en retournent chez eux

Ils s’en vont très émus

Ils s’en vont très heureux

Comme ils ont beaucoup bu

Ils titubent un petit peu

Mais la haut dans le ciel

La lune veille sur eux.

 

 

 

 

Jacques Prévert

5 réflexions sur « Feuilles »

  1. Une longue réflexion sur les feuilles comme les pages de la vie…que nous écrivons parfois sans savoir les décrypter vraiment….VITA

    En fait de millefeuilles, c’est lundi que commence « Le mois du millefeuilles »

  2. je suis d’accord avec ce cheminement. les feuilles d’impôt … je pense à ceux qui aimeraient bien en payer des impôts, ça voudrait dire qu’ils ont un toit et des revenus, voire des papiers …
    quant au cycle de la vie et de l’humus, notre modernité rend à nos morts la tâche bien difficile en obligeant au béton ou au feu.
    belle fin de semaine

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